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La Grande Guerre


De 1914 à 1918, Dunkerque se trouve à proximité du front. Transformée en camp retranché, la cité sert de base logistique aux troupes alliées qui combattent en Flandre. Mais elle est la cible des bombardements.


Déclarée par l’Allemagne à la France le 3 août 1914, la guerre - que chacun croit alors devoir être courte - va durer plus de quatre ans. D’abord bousculée par l’offensive allemande, qui l’a surprise en passant par la Belgique neutre, l’armée française commandée par Joffre se ressaisit. Elle repousse les Allemands par la victoire de la Marne. Les armées francobritanniques et allemandes se poursuivent alors dans une course à la mer qui s’achève fin 1914 en Flandre belge.

A la suite de la difficile bataille de l’Yser livrée par le général Fochen octobre, Dunkerque échappe à l’occupation allemande. Mais elle n’échappe pas aux effets de la guerre, le front n’étant éloigné que de 40 km. Si une partie de la garnison, dont le 110e régiment d’infanterie, a quitté la ville en août 1914 à destination du champ de bataille, des renforts arrivent à l’automne pour défendre le port, lien vital avec l’Angleterre.

Des troupes de toutes origines (Français, Britanniques et Belges, mais aussi Canadiens, Australiens, tirailleurs coloniaux...) transitent par Dunkerque qui compte près de 20 000 soldats en 1915. Une importante base logistique anglaise (Divisional Naval Transport Office) fonctionne avec plus de 4 000 dockers. On fait aussi appel à la main-d’oeuvre étrangère, aux travailleurs égyptiens puis aux milliers de coolies chinois (arrivés par train spécial à partir de juillet 1917).

L’intendance militaire française gère également dans l’agglomération les approvisionnements de 200 000 hommes. 32 hôpitaux de fortune peuvent accueilir 6 000 blessés de guerre, mais après les bombardements de 1915, leur nombre se réduit au profit des formations sanitaires de l’intérieur du pays, moins exposées. Un corps d’armée assure la défense terrestre du camp retranché. Des aérodromes français et anglais, dont le plus important se trouve à Saint-Pol-sur-Mer, couvrent les alentours : 200 appareils y stationnent. Le port abrite une base d’hydravions et une escadre alliée chargée de bloquer Zeebrugge et Ostende.

Le commandement des forces navales dans la zone des armées du Nord est confié en mai 1916 à l’amiral Ronarc’h. Sa mission consiste à assurer, en collaboration avec la marine britannique, la maîtrise du détroit et de la mer du Nord.   

Dunkerque a subi au cours de la guerre plus de 200 bombardements par avions et par canons à très longue portée. Ils ont causé près de 600 morts et 1 100 blessés, tant civils que militaires, détruit 400 immeubles et endommagé 2 400 sur 3 000. Les communes limitrophes, notamment Rosendaël, sont aussi très touchées.

Au large, les sous-marins et les champs de mines adverses rendent la navigation dangereuse. Les offensives allemandes, comme à Ypres (en avril 1915) ou en Flandre (en avril 1918), menacent Dunkerque plusieurs fois. Ces périls, terrestres, aériens et maritimes, exigent une protection accrue. Des batteries côtières et de défense contre les avions sont mises en place. Des casemates et des fortins sont édifiés.

Un secteur de 7 000 hectares de Watten à Ghyvelde est inondé en 1914-1915, puis en 1918 à partir des eaux de l’Aa et de l’Yser. La “Dover patrol”, formée de chalutiers réquisitionnés et armés, surveille le détroit du Nord-Pas de Calais et les abords de la côte flamande. L’agglomération ne connaît le répit qu’après avoir été dégagée par l’offensive générale alliée, fin septembre 1918. Mais les menaces n’entravent que ponctuellement l’activité portuaire.

Si 4 500 mouvements de navires ont été enregistrés en 1913, après un léger recul en 1914 et 1915, il y en a 6 400 en 1916 (dont deux tiers de bâtiments anglais), puis autant en 1918. C’est dire l’importance des échanges liés à la guerre, qui nécessitent d’adapter les infrastructures portuaires : 64 km de voies ferrées s’ajoutent aux 82 km existants sur les quais en 1914 et 56 nouvelles grues sont dressées.

Après l’occupation de Valenciennes et de Lille, Dunkerque reste la principale ville libre du département du Nord. Elle devient donc le siège de la préfecture et du Conseil général à partir de 1915. C’est là aussi que s’installe, dans des locaux de l’hôtel de ville, le ministre belge de la Guerre, le baron de Broquerville, après l’invasion de son pays. Le roi Albert Ier passe à plusieurs reprises dans la ville, qui accueille par ailleurs, le 1er novembre 1914, un sommet interallié.

La population civile essaie de continuer à vivre normalement, en dépit des combats tout proches. L’état de siège est proclamé le 3 août 1914 : le gouverneur du camp retranché dispose dès lors d’importants pouvoirs sur l’ensemble de l’agglomération. Le maire, Henri Terquem, mobilisé sur place, continue à gérer sa ville en lien avec les autorités militaires.

Et les difficultés abondent... Dès septembre 1914, des milliers de réfugiés venus de Belgique puis, plus tard, de la région lilloise, affluent à pied et en bateau. Des bandes de soldats fuient également devant l’avance allemande : il faut les accueillir, les nourrir et les héberger. Tous les bâtiments disponibles - édifices religieux, hangars, écoles - leur sont ouverts. La marine les évacue ensuite sur les ports normands.

Une autre difficulté à laquelle se trouve confrontée la municipalité tient aux problèmes de ravitaillement. Le rationnement touche le pain et la viande à partir de 1917. Des terrains militaires ou municipaux désaffectés sont mis en culture pour subvenir aux besoins de la population. Le charbon vient parfois à manquer et il faut en importer par voie maritime, à cause de l’occupation des mines du Nord et du Pas-de-Calais par les Allemands.

                                                   

La guerre bouleverse les habitudes quotidiennes. Un arrêté municipal d’août 1914 a fait fermer les théâtres, les cinémas et les bals. Un comité de secours est créé pour venir en aide aux familles des mobilisés. La presse, soumise à la censure, continue à paraître malgré les difficultés. Mais, si le "Nord Maritime" se maintient, le "Phare du Nord" disparaît en avril 1915 à cause de la diminution du nombre d’habitants et donc de lecteurs...

En effet, dès le 25 août 1914, le général Bidon, gouverneur de Dunkerque, invite les "bouches inutiles" à partir. Puis les témoignages et les rumeurs - parfois confondus - colportés par les réfugiés sur les "atrocités" allemandes en Belgique persuadent des habitants à quitter la ville avant qu’il ne soit trop tard. Les bombardements, à partir du printemps 1915 surtout, conduisent d’autres Dunkerquois à s’en aller à leur tour.

La ville, forte de 39 000 habitants à la veille de la guerre, en compte moins de 15 000 en juillet 1916 et 7 000 seulement à l’automne 1917. La cité de Jean Bart a particulièrement souffert de la guerre. Outre d’importants dommages matériels, elle déplore la mort de 1 200 de ses enfants. Les épreuves subies et sa participation active à l’effort de guerre lui valent toutefois la reconnaissance des gouvernements.

A la suite du passage du président de la République Raymond Poincaré, en octobre 1917, Dunkerque est citée à l’Ordre de l’armée et décorée de la Croix de guerre. En 1919, l’Angleterre lui remet la prestigieuse Distinguished Services Cross et la même année elle reçoit la Légion d’honneur.

Une famille dans les décombres de leur habitation détruite après un bombardement.

(Archives municipales de Dunkerque - Fonds Chatelle, n.c.)

Enfants jouant avec les débris d'une horloge dans les ruines de leur maison.

(Archives municipales de Dunkerque - Fonds Chatelle, n.c.)

Un décret-loi de Cô-Pinard Ier

En 1924, le tambour-major Cô-Pinard Ier promulgue un décret-farce paru dans le Nord Maritime du dimanche 2 mars. Il tourne la crise en dérision, transposant des éléments de l'actualité de l'époque dans le contexte du carnaval, en utilisant des mots et expressions issus du parler dunkerquois.

"Nous, Cô-Pinard, dictateur aux réjouissances, en vertu de nos pleins pouvoirs annuels, avons signé le décret-loi ci-dessous : - Les Bourses du Commerce et du travail sont fermées jusqu'à nouvel ordre, mais le mont-depiété reste ouvert à deux battants. La vie chère prend le nom de Vischerbende. La CGT (Confédération Générale des Travestis) assurera l'ordre et la police.

Pendant toute la durée du Carnaval, il sera interdit de poser des questions concernant la livre, le dollar, la peseta. Les dames masquées sont seules autorisées à donner le change, mais gratuitement . (…)

- Interdiction rigoureuse d'emprunter le costume militaire, notamment l'uniforme de la gendarmerie, pour suivre les jeunes filles dans la rue. (…) La plus grande pudeur est recommandée, sauf pour mon bonnet, à moi, Cô-Pinard, qui est toujours à poil.

Fait et signé à Dunkerque, le 1er mars de l'an de grâce 1924, après délibération au sénat de la Basse-Ville, le Cô-Rhum ayant été atteint : Cô-Pinard."

Cette année-là, en janvier et février, l'industrie textile dunkerquoise fut paralysée par cinq semaines de grève qui ne s'achevèrent qu'à la veille des "Trois joyeuses". Le porte-monnaie des petites gens avait alors, comme le dit la chanson, "les reins cassés".

L'objectif était de détourner la population de ses soucis quotidiens et d'inviter les Dunkerquois désargentés à faire carnaval malgré les conditions économiques difficiles.

Textes écrits par Xavier Boniface et Christine Harbion