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Vauban et Dunkerque : Une histoire d'amour


Conscient de l'importance stratégique de Dunkerque au XVIIe siècle, Vauban la rend imprenable et rêve pour elle d'un avenir ambitieux. Mais de cette "histoire d'amour" entre l'ingénieur et la cité, il reste bien peu de choses...


Bien avant que Dunkerque ne devienne le principal port militaire des conquêtes de Louis XIV, la situation privilégiée de la cité n'avait pas échappé aux conquérants espagnols, anglais et français. Chacun savait que le site pouvait devenir un point défensif important de la Flandre méridionale et l'efficacité des corsaires dunkerquois, dès la domination espagnole, vient conforter cette observation. C'est pourquoi les gouverneurs de la cité en renforcèrent régulièrement les défenses militaires.

Au début du XVIIe siècle, Dunkerque n'est défendue que par les anciens remparts bourguignons de 1405 et le fort de Mardyck (1622) qui protège le port et la passe de Mardyck, celle-ci servant d'abri ou de rade. Le havre résiste malgré tout aux nombreuses expéditions navales hollandaises.

En 1640, conscients des visées des Français sur Dunkerque, les Espagnols renforcent ce maigre système défensif en érigeant une nouvelle ligne de fortifications (dix bastions aux larges fossés remplis d'eau). Quatre ans plus tard, ils construisent le fort Leon (du nom du gouverneur de Dunkerque en 1643, Don Pedro de Leon). Bâti sur les dunes à l'ouest du port, il est palissadé et garni d'une batterie d'artillerie.

Mais il faut aussi lutter contre un redoutable ennemi naturel : l'ensablement du chenal et des fossés, qui risque d'obstruer le havre. Ce sont les Anglais qui remettent la ville en état de défense et remplacent le fort Leon par une citadelle revêtue de maçonnerie et reliée à la ville par un pont en bois. Les Anglais rasent également les dunes pour créer l'esplanade de Nieuport (qui correspond aujourd'hui à la plage de Malo) mais n'améliorent pas le port, faute de moyens ! Louis XIV et ses ministres Colbert et Louvois se rendent compte du danger que représente cette forteresse anglaise aux portes du royaume.

La politique financière désastreuse de Charles II d'Angleterre leur donne l'occasion de racheter Dunkerque en 1662. Mais avant d'en prendre possession, le roi envoie un ingénieur militaire, Pierre Chastillon de Louvigny, pour dresser le plan de la ville, évaluer les transformations à y effectuer et se renseigner sur sa valeur auprès d un ingénieur hollandais, Rénier Janssen.

                                      

A l’issue de ces études préliminaires, Vauban est chargé de concevoir les nouvelles fortifications de la ville. Dunkerque a eu une place essentielle dans les réalisations de Vauban. Il y commence sa carrière de créateur de places fortes en 1668, pour la terminer en 1706 avec le camp retranché. Les courriers concernant la cité portuaire représentent presque la moitié de la correspondance de Vauban pour les années 1668, 1678 et 1706 !

Après avoir étudié en 1662 les possibilités d'inondations à Dunkerque et Calais, Vauban s'attache à la transformation des fortifications du port, mais aussi à celle de la ville pour laquelle il a de nombreux projets. En 1665, le roi pare au plus pressé, fait réparer les fortifications du côté du château (construit sous Charles Quint du côté du Leughenaer) et de la citadelle dont on prolonge les défenses. Vauban et ses ingénieurs obéissent à Colbert et à Louvois, qui euxmêmes se soumettent à la volonté de Louis XIV.

Ainsi, pour répondre à la volonté royale de posséder un havre militaire en mer du Nord, il faut construire un arsenal. Dès 1669, on creuse un bassin à flot (il sera achevé en 1686) ainsi que trois cales inclinées vers le port. Malheureusement, celui-ci s'ensable et en 1676 il ne peut recevoir aucun navire de guerre digne de ce nom. En 1678, Vauban agrandit le port en perçant le banc Schurken avec l'aide d un millier d'hommes et de l'armée : en deux ans à peine, 3 000 brouettes et 12 000 hottes sont utilisées pour dégager la terre.

Pour riposter plus facilement au feu des navires ennemis, on construit en 1680, à l'extrémité des jetées de charpente, le fort de Bonne Espérance et le fort Vert (30 canons chacun), puis de 1681 à 1683 le Grand Risban en maçonnerie, chef-d'oeuvre du genre pouvant abriter 36 canons. En 1701, le fort Revers (16 canons) est ajouté à l'ensemble. La corderie (1686-1694) et le magasin général terminé seulement en 1700 donnent une idée de la lenteur des travaux et de l'inachèvement de l'arsenal.

Vauban vient à Dunkerque mais n'y séjourne jamais plus de deux mois car il doit sillonner la France en tant que directeur général des fortifications. Ce qui ne l'empêche pas d'écrire des mémoires sur la cité : en 1683, il en conçoit cinq dans lesquels il prévoit l'élargissement, le nettoiement, l'entretien du port et les constructions à faire en ville.

Il crée le quartier de la Basse Ville, un ensemble de constructions essentiellement destiné à 56 familles du hameau de Rosendaël en dédommagement de la destruction de leurs maisons, trop proches de l'esplanade de Nieuport. Il fait construire des casernes, une citerne, et projette l'édification d'un autre arsenal, d'une église à l'emplacement de la rue du Jeu de Paume pour une seconde paroisse, un hôpital, une boulangerie, trois magasins à poudre...

                                              

L'oeuvre de Vauban rend quasiment imprenable la place forte de Dunkerque qui n'est plus assiégeable ni par mer ni par terre, grâce à ses risbans, ses forts et ses possibilités d'inondations : Vauban multiplie en effet les bastions en les isolant par la répétition de fossés de plus en plus larges remplis d'eau. En cas d'attaque, les terres pouvaient ainsi être rapidement inondées pour entraver la marche de l'ennemi...

Mais Vauban a d'autres ambitions pour la cité : il conseille à Louis XIV d'y faire la "francisation en douceur", pensant que Dunkerque peut aussi devenir une grande ville commerçante. L'ingénieur espère ainsi que Dunkerque pourra contrôler les pays nordiques par la guerre de course et le commerce, en temps de paix. Il imagine même un temps la construction d'un canal entre Dunkerque et Lille... Mais les travaux portuaires sont précaires et les événements militaires de la fin du règne du Roi-Soleil ne permettent pas d'effectuer les réparations indispensables.

En 1706, Vauban vient pour la dernière fois à Dunkerque afin de diriger les travaux du camp retranché avec des fossés de 8 toises de large (16 mètres environ) et 7 pieds de profondeur (un peu plus de 2 mètres), inondables en cas de danger au sud de Bergues. Le moins que l'on puisse dire est que la "carrière" de cette réalisation aura été de courte durée...

En 1713, les traités d'Utrecht, signés entre la France, l'Angleterre, la Hollande, le Portugal, le duc de Savoie et la Prusse, mettent fin à la guerre de Succession d'Espagne. Symboles de paix en Europe, ils apportèrent aussi la désolation à Dunkerque : l'article 9 stipule la destruction de l’œuvre de Vauban dans la cité et Louis XIV doit faire raser ses fortifications, combler son port et ruiner ses écluses. Les fortifications ne retrouveront jamais le lustre que leur avait donné le génial inventeur militaire.

S'il n'a conservé aucun bâtiment du XVIIe siècle, l'actuel quartier de la Basse Ville (délimité par la rue du Canal de Bergues, l'alignement rue de Paris-quai des 4 Écluses et le boulevard Victor Hugo) porte les traces de sa création il y a plus de trois cents ans...

Les rues très larges ont été tracées à angle droit (contrairement à la tradition qui les voulait plutôt courbes) dans un but précis : pouvoir y tirer au canon en cas d'attaque... Conçus pour la guerre, le Fort Louis (Castelnau) et le Fort Vallières, qui formaient une ligne de défense avancée entre Dunkerque et les remparts de Bergues, sont aujourd'hui des lieux de promenade.

Le fort du Risban

En 1676, Vauban fait établir deux jetées en charpente avant de faire creuser le chenal à travers le banc de sable Schurken. Le Risban est l’un des six forts maritimes qui encadrent cette jetée et permettent d’éviter des bombardements navals aux portes de la ville. Construit en 1681, ce fort doit rester "imprenable, quand même la ville et la citadelle seraient prises", selon Vauban. Le fort est cependant rasé en 1714, tout comme le système de fortifications, en application du traité d’Utrecht.
(Archives municipales de Dunkerque - Fonds du maréchal de Castries - 1Z2-21)


Création de la Basse Ville

Après le rachat de Dunkerque aux Anglais par Louis XIV en 1662, le roi confie à Vauban le soin de fortifier la ville afin d'en faire l'une des plus belles places fortes du royaume. Le système défensif englobe une nouvelle portion de territoire : la Basse Ville.

Vauban dresse en 1678 un projet de construction d'un faubourg destiné au logement des matelots étrangers à la ville et au relogement des habitants d'un hameau de Rosendaël détruit pour laisser place à la nouvelle ceinture des fortifications. Vauban y fait tracer des rues larges et rectilignes disposées en éventail, faisant de ce quartier l'un des mieux ordonnancés de la ville.

Toutefois, le nouveau faubourg n'attire pas les foules le peuplement ne s'y développe que timidement. L'espace libre permet l'implantation d'industries telles qu'une verrerie royale (1732) et une blanchisserie ; le faubourg de la Basse Ville a très tôt une vocation ouvrière. Pendant longtemps, l'unique entrée de la ville par la terre s'effectue par le Pont Royal en Basse Ville, pont-levis qui enjambe le canal d'embranchement (dit aujourd'hui de jonction).

L'accès par l'ouest se pratique par le Pont Rouge construit sur le canal de Bergues. En 1785, un hôtel des Douanes est édifié afin de percevoir les taxes sur les marchandises quittant le port franc de Dunkerque par cette sortie de ville.

Au XVIIIe siècle, la rue de la Paix mène au cimetière et à la paix éternelle, puisque Vauban a souhaité réserver des parcelles de terrain de la Basse Ville pour l'implantation d'un lieu d'inhumation en dehors du centre-ville. Situé à l'angle des rues Saint-Charles et Saint-Mathieu, le cimetière laisse place à l'abattoir municipal en 1832 (c'est l'actuel emplacement de l'hôtel des Impôts).

Textes écrits par Jean-Marie Goris et Christine Harbion