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Les tambours-majors, gardiens de la tradition

Avec son imposant chapeau à poils et sa canne à pommeau, le tambour-major est sans conteste le personnage le plus en vue du carnaval. Véritable maître de cérémonie, il décide de tout et donne le tempo à la bande.

Quel carnavaleux n'a jamais un jour rêvé d'enfiler le prestigieux uniforme de grenadier du premier Empire et de se retrouver à la tête d'une cohorte de masques déchaînés ? C’est pour beaucoup une consécration et l'assurance d'entrer dans la légende. Admirés pour leur ardeur, leur prestance et leur haute stature, les tambours-majors occupent en effet une fonction hautement honorifique qui n'en reste pas moins lourde de responsabilités.

En tant que carnavaleux et spécialistes, ils participent à l'établissement de l'itinéraire de la bande, choisissent les musiciens en partenariat avec les organisateurs et veillent le jour J à faire respecter les horaires et un semblant de discipline au sein du cortège.

Véritables chefs d'orchestre de la bande, ils commandent les fifres et les tambours qui les suivent. Mais surtout, c'est à eux que revient l'immense privilège de déclencher les chahuts aux endroits définis préalablement.

Pintje Bier, le premier des tambours-majors

Depuis quand ces hommes règnent-ils ainsi sur le carnaval ? Impossible de le savoir avec précision.

Certains spécialistes avancent l'hypothèse que ces carnavaleux ont pris la succession des tambours-majors officiels de la garde nationale,  lesquels dirigeaient les fifres et les cornemuses lors des sorties du Reuze au début du XIXe siècle.

D'autres pensent au contraire que ces individus n'avaient qu'un seul objectif : parodier les soldats de Napoléon Ier. Mais quoi qu'il en soit, les premières traces écrites faisant référence à un tel personnage datent du milieu du XIXe siècle.

À cette époque, "la musique était conduite par le tambour-major Pintje Bier, alors une célébrité dunkerquoise très populaire", précise Émile Debacker, historien local et ancien président de la Société dunkerquoise, dans un texte consacré à la bande des pêcheurs de Dunkerque vers 1850. Puis plus rien, à l'exception de quelques dessins de Jacques Dumont représentant des hommes en uniforme dans les années 1860.

Cô-Genièvre ou l'Oncle Cô?

Il faudra dès lors attendre la renaissance du carnaval au lendemain de la guerre de 1870 pour que les renseignements affluent sur les nouveaux tambours-majors. En 1872, la vissherbende (bande des pêcheurs) est ainsi ressuscitée par Jean-François Marchel, alias  Cô-Genièvre, un amuseur public qui prend la tête d'une centaine de masques, habillé en Gilles et armé d'un manche à balai.

Carnavaleux invétéré, il resta à son poste jusqu'en 1910 et dirigea 39 bandes, un record qui n'a encore jamais été égalé. De nos jours circule d'ailleurs l'idée que Cô-Genièvre pourrait être le personnage central de la célèbre chanson reprise en chœur par tous les carnavaleux : "Donne un zô à ton oncle Cô qui r'vient d’Islande." Légende ou réalité ? Toujours est-il qu'il est le premier des tambours-majors à avoir obtenu le surnom de Cô, diminutif de François.

Depuis, tous les tambours-majors de la bande de Dunkerque portent ce nom agrémenté d'un complément pour le moins évocateur: Cô-Gnac, Cô-Pinard, Cô-Schnick (boire beaucoup), Cô-Trois-Six (un alcool de betterave), Cô-Schlock (un fond de verre), Cô-Pinard II et enfin Cô-Schlock II !

Les gardes impériaux du carnaval

En 1878, un chroniqueur local note que Cô-Genièvre a abandonné son costume de Gilles au profit d'une veste de mobile et d'un shako de douanier. Une tenue qu'il remplace trois ans plus tard par celle des chasseurs à cheval en drap vert, avant d'opter pour une capote de sergent-major et un shako à plume.

Des changements de déguisement qui tendent à prouver qu'à cette époque les tambours-majors n'avaient pas encore adopté le costume de grenadier du premier Empire, un uniforme que portaient pourtant déjà habituellement les personnages guidant les tambours, les fifres et les cornemuses dans la première moitié du XIXe siècle.

D'après certaines sources, il semblerait que ce soit Goliath Ier, de son vrai nom François-Louis Daems, premier tambour-major de la bande de la Violette (Malo-les-Bains), qui aurait relancé cette coutume en 1895. Cô-Genièvre l'aurait alors imité, suivi en cela par les tambours-majors des villes voisines.

À chaque bande son tambour-major

Car peu à peu, chaque commune, chaque quartier, voulut avoir sa propre bande et son tambour-major. Cô-Casse inaugura ainsi la première bande de Rosendaël en 1913. Le Grand Charles (Charles Janssens) défila avec les carnavaleux de Coudekerque-Branche en 1922 et Zoeteckoucke (Noël Duvet) avec ceux de Saint-Pol-sur-Mer en 1925. Quant à la bande de Petite-Synthe, elle fut lancée par Snustre (Léon Bailly) en 1956...

Jean Minne, la légende du carnaval

Le 3 mai 1988 disparaissait Jean Minne, alias Cô-Pinard II, le plus célèbre et le plus populaire des tambours-majors dunkerquois. Personnage truculent à l'accent inimitable, Jean Minne symbolisa à lui seul tout l'esprit du carnaval durant vingt-huit ans, de 1960 à 1988. "Ce jour est le plus beau de toute ma vie", avait-il déclaré au matin de sa première bande en tant que tambour-major.

Sapeur-pompier professionnel, celui qu'on appelait Eul'Cô aimait les gens et la fête. Déjà immortalisé par une mosaïque de Xavier Degans décorant l'hôtel communautaire, le Cô est entré dans la légende en 1992 lorsque la Ville baptisa une rue de la Citadelle "rue du Tambour-Major Cô-Pinard II".

Pour beaucoup, cette rue est devenue un lieu de recueillement. Chaque année depuis 2001, la bande de la Citadelle y fait d'ailleurs une halte symbolique et tous les carnavaleux reprennent en chœur l'hommage à Cô-Pinard, une chanson très émouvante écrite par les Prout.