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La Belle Epoque


Alors qu'apparaissent les premières grandes industries, Dunkerque découvre la vogue des bains de mer et les "trains de plaisir"...


Port de pêche et cité de corsaires, Dunkerque devient au cours du XIXe siècle le troisième port de France. La ville change, son port se transforme et reste tout au long de cette période un vaste chantier.

Une date essentielle est celle du vote, le 31 juillet 1879, de la loi affectant les crédits au "projet Freycinet" d’agrandissement du port. Les notables engagés dans le combat pour la prospérité de la ville, le sont aussi dans la vie politique locale et nationale.

Parmi ceux-ci, Jean-Baptiste Trystram (1821-1906), député, sénateur et président de la Chambre de commerce, contribue grandement au développement et à la modernisation du port. La grande écluse inaugurée en 1896 est ensuite baptisée à juste titre écluse Trystram. Autre "révolution" pour la ville, celle provoquée par l’arrivée du chemin de fer. Les moyens de transport sont en effet limités aux canaux jusqu’en septembre 1848 : Dunkerque est alors reliée à son arrière-pays et à Paris par le chemin de fer exploité par la Compagnie du Nord.

La grande industrie apparaît réellement à Dunkerque à la fin du XIXe siècle. Tout au long du XIXe siècle, les Derycke, les Vandezande et les Malo maintiennent le mariage traditionnel du bois et de la voile jusqu’à l’arrivée des coques métalliques.

L’installation de chantiers de construction navale modernes permet enfin la fabrication de navires en acier et à vapeur. En 1899, les Ateliers et Chantiers de France sont en cours d’installation à l’emplacement de la "plage de l’Estran", située à l’origine de la jetée est, à la hauteur du phare. Le lancement du premier quatre-mâts en acier a lieu le 23 mars 1902. Les ACF deviennent une entreprise locomotive, lançant sans interruption jusqu’en 1914 cargos, paquebots et chalutiers.

À une moindre échelle, les frères Ziegler, au fond de l’arrière-port, font de même, délaissant goélettes et dundees dont les jours sont désormais comptés. La plus ancienne entreprise navale dunkerquoise se spécialise dans la construction de petites unités : chalands, petits cargos et surtout remorqueurs. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’installation d’une usine sidérurgique, l’Usine des Dunes, à Leffrinckoucke en 1912 conforte la vocation industrielle de Dunkerque.

Le volume des échanges en 1913 et leur nature montrent que Dunkerque est devenu le grand port d’une riche région industrielle et agricole. Les importations dépassent largement les exportations, car les besoins des industries en matières premières s’accroissent.

Au-delà des fortifications de Dunkerque s’étendent trois communes : à l’ouest celle de Petite-Synthe, au sud celles de Coudekerque- Branche et de Téteghem. À l’est de l’agglomération naît une nouvelle commune en 1860 : Rosendaël. En périphérie de cet ancien hameau, sur un territoire entre "terres et mer", la "section des bains" de Rosendaël obtient son autonomie en 1891. Dès l’origine, c’est une station balnéaire, selon le souhait de son fondateur Gaspard Malo...

La vogue des bains de mer remonte au XIXe siècle. Dunkerque possède déjà son propre site balnéaire et édifie dès 1838 un établissement de bains de mer. Au milieu du siècle, la villégiature estivale connaît un essor spectaculaire. Les touristes (venus d’Angleterre ou des départements voisins) affluent, représentant un atout économique important.

Le site de la future station balnéaire de Malo-les- Bains, constitué de dunes, s’étend à l’est de la ville de Dunkerque. "Les dunes de l’est" appartiennent à l’origine à Dunkerque et s’étendent sur les territoires des communes voisines. Le 18 mars 1858, Gaspard Malo achète ce terrain de plus de 641 hectares à la ville.

La création de Rosendaël en 1860 modifie la carte administrative locale. La municipalité de Rosendaël prend en charge l’aménagement des rues sur le site concédé à Gaspard Malo, rendant plus facile l’implantation des constructions.

La "section des bains de mer" se développe surtout à partir de 1872, grâce à la publicité des sociétés mobilières, mais aussi de personnalités du monde journalistique et littéraire, dont Edmond About et Francisque Sarcey. Ceux-ci amènent leurs amis à la plage et font construire des chalets. La station balnéaire se dote d’équipements spécifiques aux villes d’eau : un casino inauguré en 1868, un kursaal, des hôtels, une digue, des cabines roulantes et fixes, des villas...

L’affluence des estivants s’explique en partie par le développement des transports par voie ferrée (les "trains de plaisir" partant de Lille et de la Belgique pour desservir la gare du Cap Nord). Le front de mer s’urbanise entre 1867 et 1900. Dotés de moyens financiers importants, les propriétaires font appel à des architectes réputés : le secteur devient ainsi un des lieux privilégiés de l’architecture régionale.

L’architecture balnéaire malouine se présente comme un mélange d’incroyables décorations personnalisées et de fantaisie. On y trouve aussi bien du baroque que du kitsch, de l’art nouveau, du style anglo-saxon ou brugeois. Source de développement économique, "l’industrie des bains de mer" représente aussi une véritable attraction.

Elle s’effectue sous le contrôle de la police locale, afin de respecter les règles de décence et de "bonne éducation". Une plage est destinée aux femmes, une autre aux hommes. Il n’est pas question de se déshabiller sur la plage : il faut utiliser une cabine roulante louée par les établissements privés.

Tirée par un cheval, la cabine emmène le baigneur jusqu’à la mer. Le bain terminé, le cheval remonte la voiture : on ressort ainsi tout habillé. Les bains de mer ayant rapidement un grand succès, les particuliers sont autorisés à installer des cabines fixes, moyennant un droit de location. La première apparaît en 1886. Baptisées "kiosques", elles remplacent progressivement les cabines roulantes et se répandent sur toute la plage.

                                             

Si Dunkerque connaît un essor économique, il profite peu au monde ouvrier. Celui-ci vit dans des logements insalubres autour des usines de la Basse Ville et du quartier du Jeu de Mail. C’est le bureau de bienfaisance qui secourt et assiste les plus défavorisés. Les sanatoriums de Saint-Pol-sur-Mer et Zuydcoote sont également fondés pour améliorer la santé des enfants des populations ouvrières du Nord.

Au cours du XIXe siècle, les ouvriers du port se sont regroupés en mutualités afin de pouvoir échanger leurs opinions et se défendre sans tomber sous le coup de l’interdiction de se réunir émise sous Napoléon Ier. Figure incontournable de l’époque, Albert Sauvage (1868-1911) est à l’origine de la "Chambre syndicale des ouvriers du port" créée à la suite de la grève de 1902.

Parallèlement à l’expansion industrielle, le syndicalisme se développe dans différents corps de métier. Les ouvriers du port et les inscrits maritimes sont les premiers à déclencher des mouvements sociaux à Dunkerque. Les manifestations dans la rue étant interdites par l’État, Albert Sauvage a l’idée d’ouvrir une salle afin de permettre aux meetings syndicaux de se tenir en toute liberté. La salle de "l’Avenir", située rue de l’Écluse de Bergues, est ainsi inaugurée en 1904. L’acquisition collective de ce bâtiment par les syndicalistes au prix de sacrifices financiers énormes est un événement extraordinaire.

L’époque est également marquée par la croissance de la vie associative et culturelle. Dans le domaine des “sociétés savantes”, Victor Derode fonde en 1851 la "Société dunkerquoise pour l’encouragement des Sciences, des Lettres et des Arts", rassemblant des juristes, des médecins et des professeurs. Elle organise des concours de littérature et d’histoire, publie des “mémoires” et monte des expositions de beaux-arts.

                                       

Elle a une concurrente dans l’association "Union Faulconnier", créée en 1895 par Alfred Dodanthun. L’actuelle "Société dunkerquoise d’Histoire et d’Archéologie" est l’héritière de ces deux associations.

En 1853, le Conseil académique du Nord publie un décret interdisant l’emploi du flamand à l’école. En même temps s’éveille en, Europe l’intérêt pour les appartenances linguistiques. C’est dans cette atmosphère qu’Edmond de Coussemacker (1805-1876) - juriste, musicien, archéologue, philosophe et historien - fonde le Comité flamand de France.

Dès le départ, il est entendu qu’aucun but autonomiste n’est poursuivi, d’où le slogan "Moedertael en vaderland" (langue maternelle et patrie). De Coussemacker édite des poèmes flamands et un ouvrage qui fait toujours référence : "Chants populaires des Flamands de France".

Des associations musicales se développent également. Créée en 1805, l’Harmonie communale de Dunkerque est dirigée de 1893 à 1923 par Adolphe Neerman. En 1864, la Jeune France est créée. Elle est dirigée par Adolphe Pieters, maître carillonneur pendant plus de trente-cinq ans. "Les Enfants de Jean Bart", association formée en 1864, est dirigée à l’origine par David Rieffenstahl (compositeur de la musique de la Cantate à Jean Bart).

En plus des loisirs qui consistent souvent en promenades à la plage, soirées dans les guinguettes de Rosendaël, les estaminets ou encore au théâtre, les Dunkerquois aiment se regrouper au sein d’associations et pratiquer leur jeu ou leur sport préféré : pêche à la ligne, billard français, jeux de boules flamandes, de bouchons, de quilles ou de cartes, tir à l’arc, à l’arbalète ou à la sarbacane, chasse...

Ces sociétés se réunissent une fois par an sous l’égide de leur saint patron et organisent des concours avec les villes voisines ou la Belgique. Dunkerque, à l’aube de la Première Guerre mondiale, est déjà placée en plein coeur de l’Europe industrielle qui domine alors le reste du monde. Confiants dans l’avenir, les bourgeois envisagent déjà l’aventure du “Grand Dunkerque”.

À cette époque, la vie associative et culturelle se développe. De nombreux concours étaient organisés par les sociétés. Ici, une assiette en porcelaine récompensant les lauréats du Sporting dunkerquois.


(Photo : Decottinies)

Henri et l’enfant sauvé des eaux

Le 11 octobre 1900, vers quatre heures de l’après-midi, trois enfants jouent à proximité de l’écluse de la rue des Quatre Écluses quand l’un d’eux tombe dans les eaux tourbillonnantes du sas en cours de vidage. Henri Matton, l’éclusier, n’écoutant que son courage, se jette sans hésitation tout habillé dans les eaux froides du canal de jonction afin d’arracher le jeune garçon à une mort certaine.

Tout près de là, deux ouvriers – un père et son fils – occupés à combler une tranchée pour conduite de gaz à l’angle de la rue Saint- Charles, entendent les cris des deux camarades de l’enfant et accourent vers l’écluse. Après un premier échec, Henri est parvenu à attraper le bras du jeune imprudent et, avec l’aide des deux ouvriers venus lui prêter main forte, il réussit à le hisser hors de l’eau grâce à un cordage.

L’enfant est reconnu par des passants, il habite la rue du Milieu en Basse Ville (actuelle rue de l’Abbé Choquet) et se prénomme Paul. Les badauds n’ont plus qu’à reconduire le petit Paul dans sa famille après que son état ait été jugé satisfaisant. Plus de peur que de mal pour cet enfant et son vaillant sauveteur ! Pourtant, Henri a déjà 64 ans et, bien que malade, est toujours à son poste. Pour cet acte de bravoure, l’ingénieur sollicite auprès de l’administration du port une médaille de sauvetage.

L’éclusier Henri Matton n’en est d’ailleurs pas à son premier acte de dévouement puisque, quatre ans auparavant, quasiment jour pour jour, le 14 octobre 1896, il avait sauvé au même endroit une femme de la noyade… Ce qui lui avait donné droit à une lettre de félicitations de Monsieur le maire de Dunkerque.


Archives municipales de Dunkerque - Fonds du Port, dossier n° 115 (personnel éclusier, pontier et barragiste au port de Dunkerque / 1897-1900)

Textes écrits par Christian Pfister et Christine Harbion