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Dunkerque dans la tourmente de la Révolution


Après une adhésion modérée aux premiers pas de la Révolution française, la vie politique dunkerquoise se radicalise avec l'entrée en guerre de l'Angleterre. Dunkerque, bientôt rebaptisée "Dune Libre", est en danger...


La préparation des états généraux convoqués à Versailles pour le mois de mai 1789, s'accompagne de l'invitation faite au peuple par Louis XVI de présenter des cahiers de doléances. À Dunkerque, la rédaction du cahier des doléances de la ville, synthèse de l'ensemble de ceux des corporations de métiers, a lieu dans un climat tendu où les intrigues mènent à l'élection de 24 représentants proches du magistrat.

L'avocat Poirier, fervent adversaire du magistrat, n'hésite pas à publier dès mars 1789 ses "Idées des doléances de la ville de Dunkerque", suivies de nombreux pamphlets dans lesquels il dénonce inlassablement le complot des édiles locaux qui se refusent à partager le pouvoir.

Le 30 mars 1789, les 24 députés dunkerquois se réunissent avec ceux du baillage de Bailleul. Malgré son importance, Dunkerque n'obtient aucun représentant pour les états généraux de Versailles, sans doute victime des manoeuvres électorales du magistrat et peut-être par manque de conviction patriotique de ses représentants.

Ce manque d'adhésion aux premiers pas de la Révolution française s'illustre clairement lors de la création de la garde nationale, qui prend le nom de "garde bourgeoise", terme de l'Ancien Régime qui s'effondre. Elle est créée dans l'urgence le 23 juillet 1789 pour maintenir l'ordre public, sous la conduite d'Emmery.

A l'origine pouvoir armé du peuple pour accompagner la Révolution, la garde nationale de Dunkerque protège en fait le magistrat qui la contrôle. Pourtant, il existe une assemblée de la Commune composée de délégués des corporations de la ville. Un Comité des Douze, sans doute issu de l'Assemblée, regroupe des patriotes, tels les Coppens, Teste-des-Vignes, Adrien-de-Lille, Emmery... Mais en septembre 1789, au lendemain de la démission d'Emmery - qui a choisi le clan du magistrat en réorganisant la garde nationale -, le comité disparaît, victime de ses dissensions. Dunkerque ne connaîtra pas de révolution municipale...

Cependant, en janvier 1790, l'existence de ce courant révolutionnaire est sans doute à l'origine des troubles qui éclatent dans les assemblées chargées d'élire le maire et les membres du conseil général de la commune (actuel conseil municipal). Mais, une nouvelle fois, le pouvoir lui échappe : le taux de participation est extrêmement faible et ce sont bien les anciens membres du magistrat qui sont élus.

                                               

En ce même mois de janvier 1790, une question bien plus importante inquiète les négociants du magistrat et de la Chambre de commerce : le maintien de la franchise commerciale de Dunkerque, que l'abolition des privilèges, votée le 4 août 1789 par l'Assemblée nationale, menace fortement. Elle sera d'ailleurs supprimée en 1795, malgré de multiples démarches et pétitions.

Le cheminement du pouvoir local vers la Révolution semble se faire au fil de l'exécution des lois et décrets qu'il est tenu d'appliquer. La Société des Amis de la Constitution est créée en juin 1790. Il s'agit d'un véritable contre-pouvoir chargé de surveiller l'application des lois et d'éduquer le peuple. Mais il semble bien que le conseil général de la commune la contrôle rapidement.

On comprend alors pourquoi la municipalité n'applique pas la Constitution civile du clergé : elle n'hésite pas à déclarer à la population que même les prêtres n'ayant pas prêté serment à la Constitution peuvent continuer à exercer. Cependant, à partir de mai 1791, le clergé assermenté prend progressivement ses fonctions dans la ville.

De même, la confiscation des biens et la fermeture des communautés religieuses n'ayant pas de vocation curative ou éducative ne sont pas appliquées. Ce n'est qu'à partir du printemps 1792 que la politique religieuse sera finalement respectée. L'application des décisions révolutionnaires est sans doute liée à la reprise en main par les patriotes des missions de la Société des Amis de la Constitution, qui devient en 1792 la Société populaire. Elle multiplie alors ses activités : éducation et information du peuple par des réunions publiques, respect de l'application des lois par le pouvoir municipal, vigilance envers les comportements contre-révolutionnaires, renforcement de la défense...

Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre aux monarchies européennes hostiles à la Révolution. Ville frontière, Dunkerque doit renforcer ses moyens de défense. En février 1793, l'Angleterre rejoint le clan des coalisés perturbant de façon sensible les relations maritimes, provoquant la mobilisation des marins et faisant craindre l'annexion de la ville.

Dunkerque est bel et bien en danger et les nouvelles des champs de bataille ne sont pas bonnes : défaite de Neerwinden en mars 1793, prise d'Ostende, approche des troupes du duc d'York vers Furnes et Ghyvelde. Le 23 août, l'armée britannique est à Rosendaël et le siège de la ville commence.L'arrivée des troupes françaises commandées par Houchard fait reculer l'ennemi qui, battu le 8 septembre à Hondschoote, lève le siège le lendemain. À l'intérieur des fortifications, la vie politique s'est radicalisée. Les élections municipales de novembre 1792 ont mené Emmery au poste de maire.  

Le 10 octobre 1793, la Convention décrète le gouvernement révoluti onnaire jusqu'à la paix, et la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) établit un pouvoir fortement centralisé que la lutte contre les ennemis de l'extérieur et de l'intérieur justifie. Organe de la politique jacobine de la guerre, le comité de surveillance animé par Vandewalle, Camus, Lecomte, et la Société populaire régénérée - où des membres plus actifs apparaissent tels Pereyra ou Cordange - affrontent le pouvoir municipal qui tente de résister. Le maire et plusieurs officiers municipaux sont destitués. Les étrangers et suspects sont emprisonnés.

La Société populaire veille à l'application du maximum des prix et des salaires, tente de résoudre l'épineux problème du ravitaillement, organise les fêtes révolutionnaires...

Sa politique de déchristianisation se traduit par le changement de nom de la ville de Dunkerque ("Église des Dunes") en Dune Libre, alors que les rues dont les dénominations rappellent la prédominance de l'Église catholique sont rebaptisées : la rue de l'Église devient ainsi rue de la Vérité (aujourd'hui rue Clemenceau), la rue des Jésuites devient rue de la Raison (actuelle rue du Docteur Lemaire) et la place Royale, de nos jours place Jean Bart, prend le nom de place de la Liberté... Le Temple de la Raison remplace le culte catholique et le carnaval est supprimé. La révolution culturelle en cours fait table rase des symboles de l'Ancien Régime...

Comme ailleurs, la réaction thermidorienne, au lendemain de la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), libère les prisonniers, destitue et désarme les terroristes, épure la municipalité, puis la Société populaire et le Comité de surveillance. Au lendemain du coup d'état royaliste du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), la municipalité qui était déjà réduite à six membres est à nouveau épurée.

À la veille du Consulat, Dunkerque, dont le trafic commercial et l'activité industrielle subissaient le contrecoup de la suppression de la franchise, avait perdu une partie importante de sa population (24 700 habitants en 1797, contre 27 616 en 1789).

Mais le retour à la paix civile et religieuse espéré de tous sera bien éphémère. Les guerres napoléoniennes s'annonçaient bien plus désastreuses pour la ville.

Plan du couvent des Pauvres Clarisses

Les bâtiments et terrains du couvent des Pauvres Clarisses, devenus propriété communale suite à la confiscation des biens de l’Église, sont proposés à la vente. Préalablement, la mairie détermine la destination de chaque parcelle vendue : habitation bourgeoise ou commerce. Cet exemple, qui n’est pas un cas isolé, traduit bien la perte de repères géographiques, religieux ou sociaux que les Dunkerquois ont dû assumer pendant la décennie révolutionnaire.


(Archives municipales de Dunkerque.- 2M11.)

Au temps des décades

Et si nous revenions au temps des décades ? Nous n’aurions plus le repos hebdomadaire du dimanche, mais le repos décadaire (tous les dix jours) du décadi. Et ce jour-là, toute activité devrait disparaître de l’espace public. En contrepartie, nous devrions travailler le dimanche.

Mais ce ne serait pas tout… En révolutionnant la notion du temps, le gouvernement de l’an II a voulu faire table rase du passé, mettre fin à l’hégémonie du calendrier grégorien qui conditionnait le peuple depuis des siècles. Il fallait laïciser le temps en supprimant la pratique des fêtes des saints, les dimanches... Ainsi, ne dirions nous plus le mois de janvier, mais celui de nivôse jusqu’au 19, puis de pluviôse.

Et la fête de Saint-Louis disparaîtrait au profit de celle de Colchique ou de Betterave. Imaginez un peu le bouleversement dans notre vie quotidienne :"Je t’invite nonidi 15 thermidor au baptême républicain de Brutus- Fédéré." De quoi nous faire perdre la tête : le temps se détraquerait et nos repères se feraient la malle. Cette fiction-là, nos ancêtres l’ont vécue. L’ont-ils bien vécue ? Difficile de répondre car, à la lecture des nombreux procès-verbaux des contraventions, cela n’a pas dû être facile. Le 4 mars 1799 – oh ! pardon, le 14 ventôse an VII – quatre bouchers vendent leurs denrées le jour de la décade tandis que des brasseurs et des entrepreneurs font travailler leurs ouvriers.

Un mois plus tôt, cinq marchands de morue bravaient l’interdit en étalant leurs poissons salés sur la voie publique, tandis que des petits commerçants ambulants laissaient négligemment ouverts leurs tambours avec des marchandises trop visibles. Peut-on en déduire que toute activité disparaissait les jours de décade quand nous surprenons dans un procès verbal la condamnation d’un boucher pour avoir fait travailler ses ouvriers "à la vue du public" ? Mais, vouloir travailler le jour des décades, n’était-ce pas une forme de résistance passive ?

Louis-Eugène Poirier

(1753-1818)
"Royaliste sincère en 1789, fervent républicain en 1792, bonapartiste enthousiaste dès 1799, il a traversé tous les régimes politiques qui se sont succédé à une cadence accélérée durant cette période particulièrement agitée de la Révolution." ("Un Dunkerquois à travers la Révolution et l'Empire : l'avocat Poirier" de René Galamé).


(Gravure : Gilles-Louis Chrétien - musée des Beaux-Arts de Dunkerque.)

Textes écrits par Anne Lebel