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L'essor de la cité médiévale


À l’origine modeste hameau de pêcheurs, Dunkerque devient progressivement un port actif. La ville se structure et se développe au gré des fortunes de l’histoire...


La prédominance de Gravelines s’estompe à la fin du XIIIe et au début du XIVe, siècle suite notamment à l’ensablement progressif de l’estuaire de l’Aa. Cependant, Saint-Omer, ville de contact entre la Flandre et l’Artois, tient à rester un centre très important du commerce régional. Dunkerque s’impose alors peu à peu comme l’avant-port privilégié des Audomarois, ceux-ci délaissant les deux canaux du XIIe siècle vers Gravelines reliant Saint-Omer à la mer.

Les marchandises prennent la direction de Dunkerque en passant par la Colme, malgré le handicap constitué par les deux "overdraghes" de Wattendam et de Lynck. Le havre dunkerquois devient ainsi pour les terres intérieures la voie d’accès essentielle vers les Pays-Bas et l’Angleterre.

Le 2 février 1311, le comte Robert de Béthune accorde un privilège très important aux bourgeois de Dunkerque. Désormais, ils ne dépendent plus des magistrats de Bergues-Saint-Winoc mais sont justiciables auprès des échevins de Dunkerque : un pas de plus vers l’autonomie...

Le comte Robert a deux fils : Louis et Robert. Si l’aîné, Louis, obtient le comté de Flandre, le cadet, Robert, reçoit l’apanage de Bar et de Cassel comprenant Cassel, Bergues, Dunkerque, Bourbourg, Gravelines, Watten, Bailleul... c’est-à-dire un vaste lot homogène de villes voisines sur tout le long du littoral : en quelque sorte une “intercommunalité” avant l’heure...

De ce fait, à la mort du comte Robert de Béthune en 1320 et jusqu’à l’époque moderne, Dunkerque a une double appartenance et deux seigneurs : d’un côté le seigneur de Bar, et de l’autre le prince, suzerain, comte de Flandre jusqu’en 1384.

Robert de Cassel, fils cadet de Robert de Béthune et seigneur apanagiste, est resté dans l’histoire de Dunkerque pour la construction éphémère d’un château appelé le "burg". Mais c’est surtout en tant que réorganisateur du magistrat (l’équivalent du conseil municipal) qu’il se distingue.

Composé au total de 22 membres représentant la bourgeoisie de la ville, le magistrat comprend un bourgmestre, des échevins et des conseillers. Le seigneur est, quant à lui, représenté par son bailli dont le rôle est comparable à celui d’un intendant doublé d’un procureur.

Robert de Cassel est également à l’origine de la fondation de trois confréries : la guilde de Saint-Sébastien réunissant les archers, celle de Saint-Georges regroupant les arbalétriers et celle de Sainte- Barbe pour les arquebusiers. Ces compagnies de milices bourgeoises sont chargées du service de guet dans la ville. En 1324, Robert épouse Jeanne de Bretagne. À sa mort, en 1331 à Warneton, il laisse deux enfants mineurs Jean et Yolande (née en 1325).

                         

Figure légendaire de notre histoire, Yolande, dame de Cassel et vassale du comte de Flandre, hérite de la seigneurie de Dunkerque. Elle prend la succession avec force en faisant notamment reconstruire le château de son père.

Sa vie, assez mouvementée, s’explique peut-être par son très jeune âge : mariée à 14 ans avec le comte de Bar, elle est devenue veuve très rapidement. Comtesse de Bar et de Cassel, elle se heurte de plus en plus à la volonté princière, voire royale. Très attachée à ses droits, elle mène un train de vie au-dessus de ses moyens et, de ce fait, s’intéresse de très près aux comptes de la ville...

Toute en contradictions, elle respecte le carême mais n’en fait pas moins assassiner deux moines par "saute d’humeur"... Elle finit par être emprisonnée par le roi de France pendant deux ans. Revenue dans son apanage, elle stimule l’activité commerciale et ordonne l’exécution de travaux portuaires. Mais les heurts sont fréquents entre son bailli et les échevins de la ville à cause de la lourdeur des impôts, et les procès avec l’autorité suzeraine ne font que se multiplier...

Après avoir dominé la vie dunkerquoise du XIVe siècle, elle décède en 1395. Son fils, Robert de Bar, homme pieux et sage selon la chronique, se montre plus discret face au pouvoir suzerain, représenté par la maison de Bourgogne depuis 1384.

Le comté de Flandre passe en effet à cette date sous la tutelle bourguignonne suite au mariage conclu en 1369 entre Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et Marguerite de Flandre, fille unique de Louis le Mâle, comte de Flandre. L’apanage de Bar et de Cassel, donc Dunkerque, passe de la domination des comtes de Flandre à celle des ducs de Bourgogne, puis des Habsbourg d’Autriche à la fin du XVe siècle.

On peut parler d’un démarrage économique de Dunkerque dans la seconde moitié du XIVe siècle. Dunkerque est dorénavant plus qu’un petit port de pêche. C’est le début du commerce d’importation : la cervoise d’Angleterre, la bière de Hollande (Gouda, Delft et Weide) ou de Brême, apparaissent de loin comme la catégorie de produits venant en tête, suivie par le vin (en provenance de La Rochelle, de Saint-Jean d’Angély, du Poitou puis du Bordelais).

On trouve également un apport de bois issu des pays nordiques (Danemark) ainsi que du fer de Suède et du sel de Guérande. Les exportations, quant à elles, sont soit des produits dérivés de l’agriculture et de l’élevage, soit de la pêche.

                                   

Les comptes de baillage révèlent de nombreux éléments de la vie quotidienne des Dunkerquois. La keure (loi urbaine) réglemente la vie dans l’enceinte de la ville et gare à ceux qui l’enfreignent sous peine d’amende ! Les fraudes commerciales sont fréquentes (vin ou bière altérés par un ajout d’eau, poisson insuffisamment salé donc mal conservé...), de même que les amendes juridiques liées aux rixes et les amendes d’ordre moral interdisant jeux de hasard, jurons... Les règlements des corps de métier sont particulièrement stricts et visent surtout la qualité des produits qui font la renommée de la ville. Les artisans de métier (bouchers, boulangers et poissonniers essentiellement) dominent la société dunkerquoise.

Au XVe siècle, la réussite et la prospérité de Dunkerque sont symbolisées par la construction de nouveaux édifices comme le beffroi qui constitue un repère visuel pour les navigateurs et sert de clocher à la nouvelle église Saint-Éloi (1450), et surtout l’enceinte bourguignonne composée de 28 tours, dont une partie de la tour du Leughenaer (place du Minck) constitue le seul vestige.

Les troubles politiques n’ont ainsi altéré ni les institutions de la ville ni ses privilèges, dont la liberté de commerce (libre circulation des personnes et des marchandises...).

À l’époque médiévale, chaque suzerain cherche en effet à s’attacher la cité en confirmant ou en augmentant ses privilèges : un bourgmestre, des échevins, des libertés...

Une succession de ducs ne fait qu’étendre les territoires jusqu’au moment où, par un jeu d’alliances dynastiques sans précédent (résultat de successions, d’héritages et de mariages), l’un d’entre eux devient non seulement duc de Brabant et comte de Flandre, de Hainaut et de Hollande, mais également roi d’Espagne et empereur du Saint Empire : il s’agit de Charles Quint, qui fait honneur aux Dunkerquois par sa “grande entrée” en 1520...

Les impôts au Moyen Âge

La première mention du nom de Dunkerque apparaît dans une charte de 1067, autorisant l’abbaye de Bergues, Saint-Winoc, à y prélever la dîme, impôt en nature dû par les pêcheurs qui réservaient un filet de leur pêche.


Un peu plus tard, du XIIIe au XVe siècle, l’essor de Dunkerque sous les comtes de Flandre puis les ducs de Bourgogne va nécessiter d'importantes ressources financières. Les tonlieux occupent une place de choix parmi les taxes.

Ils s'appliquent à toutes les marchandises, produits d'importation tels le vin, la cervoise ou la bière, ou encore les produits agricoles, le bois, le charbon, le sel et autres denrées.
À ces tonlieux vient s'ajouter une multitude d’impôts divers : les appartenances de tonlieu comme les droits sur les bêtes en pâturage, la redevance sur la paille et les joncs utilisés pour éclairer l'entrée du port, le denier des masures, ancêtre de nos impôts fonciers, le hareng du châtelain, quantité de poisson amenée par les pêcheurs au marché, le droit de garenne et de rivière sur les basses-cours et étangs, droit de moulin, droit de passages aux écluses…

Un impôt indirect est perçu sur les boissons, c’est l’accise.

Les Dunkerquois sont encore assujettis à toutes sortes de droits : droit de lagan sur les objets échoués sur le rivage, droit d'aubaine payé par les personnes de passage, droit de bâtardise pris sur la succession des enfants illégitimes.


Enfin, les amendes pour rixes – les Flamands sont réputés bagarreurs - viennent compléter les ressources communales. Il faudra attendre le milieu du XVIIe siècle pour que les prises des corsaires assurent l’essentiel des revenus de Dunkerque.

Gardiennage du “chastel”

Un premier château est construit en 1320, auquel succède un second en 1331. Pour faire face aux incursions ennemies, un système de garde est institué dans ce château dont le rôle défensif est conforté. Cette lettre de 1386 témoigne de l’organisation de ce gardiennage.


(Archives municipales de Dunkerque - 1Z6-1)

Textes écrits par Stéphane Curveiller et Christine Harbion