Au XVIIIe siècle, Dunkerque se développe et adopte les règles urbanistiques de l'époque. La cité baroque, faite d'influences flamandes et espagnoles, change progressivement de visage...
Après les multiples sièges et batailles qui se sont déroulés au pied de ses remparts au cours du XVIIe siècle, la ville connaît une paix relative le siècle suivant. Se détournant de la course sauf en cas de force majeure (Dunkerque reste néanmoins le premier port corsaire de France, loin devant Saint-Malo), les Dunkerquois naviguent et commercent du Cap Nord à la Sicile.
La morue islandaise fournit du travail à des milliers de matelots, saleurs, pêcheurs, tonneliers, brouetteurs. À partir de 1721, les "Isles" permettent de remplir 30 à 50 vaisseaux par an avec du sucre, du café, de l’indigo et du coton.
Le cabotage et la fraude vers le Royaume-Uni font de Dunkerque un grand entrepôt européen où l’on trouve de tout. Parmi les activités de la cité portuaire, on trouve même la pêche à la baleine : celle-ci prend son essor après 1785 grâce à plusieurs familles américaines (du Nantucket) installées à Dunkerque, qui n'hésitaient pas à faire de longues traversées pour ramener le produit de leur pêche.
La prospérité matérielle est indéniable et la population s'accroît : 10 800 habitants en 1713, plus de 27 000 en 1790. Dunkerque, derrière Lille, est la seconde ville du Nord-Pas de Calais et ses marchands font partie de "l’Internationale négociante" de l’époque.
L’urbanisme se développe également. Les XVIIe et XVIIIe siècles sont marqués en France par le passage de la cité médiévale à la ville moderne. Cependant, le phénomène n’est pas uniforme pour toutes les cités. L’agrandissement de l’espace urbain dunkerquois s’est poursuivi en fait du XVIe au XVIIIe siècle, en tenant compte de trois facteurs : l’environnement naturel (eaux stagnantes et marais), une croissance démographique forte et des aires de développement urbain successives liées à l’architecture militaire.
Bien que les fortifications aient été rasées après le traité d’Utrecht signé en 1713, la cité portuaire ne reste que peu de temps dans cet état de ruines : une nouvelle ligne de défense est édifiée en 1743. Quant à la ville elle-même, le tracé urbain fixé par Vauban ne connaît que des aménagements secondaires. En 1785, grâce à la concession de terrains libérés par les fortifications détruites, la ville peut s’étendre sur ses pourtours est et sud et gagner environ 172 000 m2 destinés à la construction.
Sans avoir à respecter de "plan d’urbanisme" comme dans d’autres villes françaises au XVIIIe siècle, la construction à Dunkerque a été l’objet d’une surveillance particulière après le rachat de la cité par Louis XIV en 1662.
La ville baroque, empreinte des influences flamande et espagnole, change vite de visage. On y construit alors "à la française" : alignement strict de la rue, hauteur homogène et décoration sobre. Les maisons présentent des divisions ornementales sur les façades, avec des moulures qui courent à la base des fenêtres ou des pilastres munis d’un fronton.
L'objectif est de créer des maisons avec un aspect élancé et équilibré. Les fenêtres sont peu décorées : petits balcons en fer forgé, portes sculptées dans le bois, parfois surmontées d’un tympan vitré destiné à éclairer l’intérieur… Une particularité à signaler : les descentes de caves ou "burguets" qui prennent place directement sur le trottoir.
Dunkerque est considérée au milieu du XVIIIe siècle comme l’une des villes où l’on construit le plus. Pourtant, la construction est fortement réglementée : elle ne peut se faire sans l’obtention d’une "autorisation de bâtir" délivrée par le magistrat après expertise du plan.
De plus, il est défendu de bâtir dans la Basse Ville sans autorisation de l’intendant (le préfet de l’époque), lui-même respectant les directives royales. La surveillance s’exerce par l’intermédiaire des "commissaires aux travaux" (échevins chargés de l’urbanisme) qui présentent les plans d’ensemble des rues au magistrat. Ils sont assistés sur le plan technique et sur le plan de l’exécution par des "inspecteurs des travaux".
L’effervescence immobilière ne s'est pas déployée à Dunkerque dans le "corset" de l’ancienne muraille, mais à la périphérie. Deux grandes places sont pourtant créées aux limites de la vieille ville : la place Royale (édifiée dès le XVIIe siècle sur un ancien marécage) et la place Dauphine, aujourd'hui respectivement place Jean Bart et place du Général de Gaulle.
Commencée par Vauban en 1682 sur le souhait de Louis XIV, la place Dauphine est surtout aménagée en 1707-1708. Plantée de tilleuls et de marronniers, elle restera longtemps la seule promenade publique à l'intérieur de la ville. Elle accueille le marché dès le XVIIIe siècle.
Vers 1730, Dunkerque adopte progressivement les règles urbanistiques du siècle des Lumières. Un nouvel ensemble urbain s’implante à partir de la place Royale et s’étend après 1785 pour atteindre le canal de Furnes. Des rues y sont dessinées qui prennent une à une le nom d'un intendant - Séchelles, Beaumont, Soubise et Caumartin - ce qui vaudra à ce quartier d'être appelé "quartier de l’Intendance" ou "des Intendants".
Sous Louis XV, l’essor commercial conduit à la création d’une ville nouvelle. Les faubourgs accueillent une population souvent arrivée récemment en ville et qui représente une main-d’oeuvre pour les manufactures qui s'y installent. L’École d’architecture, créée en 1760, s'installe au premier étage de la Bourse sur la place d'Armes. Fondée par Philippe Everaert, inspecteur aux ouvrages et architecte ingénieur, l'école permet de former des architectes et de bons artisans travaillant pour Dunkerque mais aussi pour les villes aux alentours : Cassel, Bergues, Bourbourg…
À Dunkerque, un ensemble de professions liées aux métiers du décor, à l’aménagement de la maison et au service d’un art de vivre, se distingue parmi la société. Il est bien difficile de trouver la frontière entre artisans et artistes : la diversité du monde artistique est immense (sculpteurs, étainiers, peintres, décorateurs d’intérieur de maisons, doreurs, peintres de carrosses…) et les limites sont loin d’être imperméables entre le monde de l'artisanat et celui des beaux-arts.
En 1783, le peintre Bernard-François Pieters décore l'intérieur du théâtre de Dunkerque (situé rue Benjamin Morel), la cité faisant partie des trente-neuf villes françaises à posséder un théâtre permanent au XVIIIe siècle. L’artiste repeint plafond et loges en blanc, ajoute des guirlandes de fleurs rose et or, ainsi que des draperies. Il rafraîchit également les décors de la salle de spectacle (inaugurée le 11 novembre 1777).
Au sein de ce monde artistique dunkerquois du siècle des Lumières se détachent deux personnalités : les peintres Jean-Baptiste Descamps et Nicolas Truit.
À partir de 1720 environ, le port de Dunkerque participe brillamment à l’essor économique du XVIIIe siècle. La Chambre de commerce, établie en 1700, avait d’abord trouvé place dans l’hôtel de ville. En 1707, elle fait surélever d’un étage les bureaux de la balance publique, puis déménage une nouvelle fois en 1756 pour occuper le premier étage de la Bourse, nouvellement construite par la ville.
C’est, avec la construction du péristyle de Saint-Éloi par Victor Louis, le plus important chantier du siècle dans la cité. C’est Jean-Baptiste Descamps qui est recruté pour décorer les pièces de l'établissement. Jean-Baptiste Descamps, né à Dunkerque en 1706, se forme auprès d’artistes locaux à Ypres puis à Anvers et fréquente en 1739 l’Académie royale de peinture. Puis il fonde une Académie de dessin et de peinture à Rouen en 1741, qui sert de modèle aux autres écoles qui vont s’ouvrir à Lyon, Dijon ou Dunkerque.
Spécialiste de tableaux nordiques, il est aussi l'auteur d’une "Vie des peintres flamands, allemands et hollandais" en quatre volumes, parue entre 1753 et 1764. Pour la salle d’entrée de la Chambre de commerce, l'objectif est d’exprimer l’étendue du commerce sous la forme de quatre figures symbolisant chaque continent. La seconde salle est décorée de cinq tableaux allégoriques évoquant chacun un épisode de l’histoire de Dunkerque : la ville livrée à l’Angleterre par la France après la bataille des Dunes (1658), la ville rachetée par la France (29 novembre 1662), la paix d’Utrecht, Dunkerque seule victime de la paix (7 novembre 1713), la mer, soulevée par la tempête, rompt le batardeau qui fermait le port (31 décembre 1720) et le Roi fait annoncer à la ville que son port sera rétabli (5 juillet 1756). Puis les relations entre l’artiste et Dunkerque se poursuivent. Il obtient une commande de la ville pour décorer la salle des audiences de l’hôtel de ville d’une très grande toile.
Dans la seconde moitié du XVIIIe, les écoles de dessin et de peinture fleurissent en France, surtout dans le nord et le nord-ouest (Lille en 1755, Amiens en 1758, Saint-Omer en 1767…). Ces écoles sont souvent fondées par des artistes locaux.
Fait très original, à Dunkerque, c’est un ancien enfant abandonné qui crée l’Académie gratuite de dessin et de peinture. Nicolas Truit - né en 1737 à Dunkerque – obtient à sa sortie de l’hôpital, la possibilité d’exercer un métier artisanal : après une première formation de tailleur, il obtient, grâce à ses dons pour la peinture, de poursuivre des études à Bruges puis à Paris.
Revenu à Dunkerque en 1768, l'artiste décide de mettre en place un établissement afin d’enseigner le dessin et la peinture "dans l’esprit des Lumières" et de pouvoir vivre de son art dans sa ville natale.
Cette première école de dessin et de peinture s’ouvre en octobre 1769, elle est située sur la place d’Armes (aujourd'hui place Charles Valentin), au-dessus de la Bourse. Nicolas Truit quitte Dunkerque en 1777 pour diriger l’Académie de dessin et de peinture de Saint-Omer, où il meurt le 27 février 1785. Il reste avant tout un artiste populaire de langue flamande, face aux notables ; peut-être faut-il voir là une des raisons de son rapide oubli...
Trois de ses toiles sont encore conservées au musée des Beaux-Arts de Dunkerque mais d’autres existent en Belgique et en Angleterre, donnant une idée de la notoriété de ce peintre à son époque.
Grâce à l’expansion urbaine, un artisanat de luxe prospère, avec plus ou moins de succès suivant les secteurs. L’exemple en est donné par le travail des métaux : celui du bronze s’éteint après la destruction du port, suite au traité d’Utrecht ; par contre, la poterie d’étain, quoique peu développée, permet pendant tout le siècle à quelques familles de vivre de leur art (les Brandt, Bryquelt, Deswarte et Vanhems-choote).
L’orfèvrerie, quant à elle, bénéficie d’une conjoncture très favorable. L’influence de Paris se ressent dans les créations dès la fin du XVIIe siècle mais elle est intégrée à un style baroque propre à la Flandre. Quelques dynasties d’orfèvres locaux dirigent les ateliers les plus renommés et appréciés généralement du magistrat, telle la famille Deman ou celle des Schoutheer, mais il faut noter aussi le style bien particulier de la veuve Angilles. Dunkerque, n’étant pas un grand centre intellectuel, tient surtout sa force de sa situation géographique au croisement de différentes influences culturelles.
Parallèlement, émerge une opinion publique et se développent de nouvelles formes de sociabilité moins élitistes. La franc-maçonnerie en est la manifestation la plus visible. Elle présente à Dunkerque quelques particularités. Elle apparaît très tôt : selon la tradition qui reste à confirmer, le duc de Montagu crée le 13 octobre 1721 la loge "Amitié et Fraternité", qui serait l’aînée de toutes les autres loges du royaume. Son recrutement réunit l’élite du commerce.
En 1784, une loge plus populaire, "la Trinité", se crée sans concurrence, tandis que les réfugiés hollandais instituent la leur en 1789 sous le vocable des "Vrais Bataves". Si les différentes loges n’œuvrent nullement au renversement de l’autorité, elles contribuent à diffuser ces nouvelles habitudes de vie et de pensée qui permettront la Révolution : les loges dunkerquoises sont ainsi représentatives de ce grand changement culturel.