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La reconstruction


Au sortir de la guerre, la population doit affronter des conditions de vie difficiles, alors que la reconstruction de la ville et du port démarre.


Après cinq longues années de guerre et d’occupation allemande, Dunkerque offre le visage d’un vaste champ de ruines. Tout est à reconstruire. Sur 3 362 immeubles, 1 524 sont irrémédiablement détruits, 805 très endommagés et seulement 1 032 sont estimés habitables. La population, évacuée en octobre 1944, revient dès mai 1945. En 1946, 10 575 habitants ont retrouvé leur ville. Ils étaient 31 017 dix ans plus tôt.

Pour ceux qui sont revenus, la vie se décline en une extrême précarité. En 1945, le maire du conseil municipal provisoire, Robelet, fait un bien terrible constat : "Pendant (ces derniers) huit mois, les Allemands ont pillé à loisir, enlevant les mobiliers, organisant la mise à sac de ce qui subsistait. Le port de Dunkerque est anéanti. Les canalisations d’eau potable, l’eau des puits et citernes est impropre à la consommation, il n’y a ni gaz ni électricité."

En attendant la reconstruction de la ville, les caves, les immeubles fortement endommagés, les blockaus abritent les nombreux sinistrés. L’installation des chalets américains UK 100 sur les glacis représentent bien une amélioration des conditions de logement, mais les canalisations d’eau, de gaz, d’électricité, n’existent pas.

À ces conditions déjà très difficiles s’ajoute un coût de la vie qui s’envole dès 1945 : de 1’indice 100 en 1938, il passe à 590 en avril 1945 et à 700 en avril 1946. Le marché noir est encore une réalité que le gouvernement provisoire tente de combattre, alors que l’augmentation des salaires ne suit pas.

Des structures de secours sont mises en place. La Croix-Rouge, l’Entraide française ou la Cimade (relais de l’aide des presbytériens américains) offrent le nécessaire : aliments, ustensiles de cuisine, vêtements, linge de maison, matelas… Dunkirk, ville américaine avec laquelle Dunkerque entretient des relations depuis le début du XXe siècle, offre son aide en distribuant sucre, pâtes, farines…Quant au port, il a été systématiquement bombardé : écluses, docks, grues, bateaux, péniches… sont détruits ou inutilisables.

                                        

En mai 1945, il faut reconstruire. Et vite. Après les bombardements de 1940, une mission éphémère avait bien été confiée aux architectes Bardet et Fenzy, qui avaient été remplacés en mai 1942 par les urbanistes Jean Canaux et Roger Puget. Mais les études de ces derniers avaient été fortement compromises par l’occupation de Dunkerque dont l’accès était contrôlé par les Allemands.

Quand l’urbaniste Leveau est nommé en août 1944, leurs travaux avaient peu avancé. Ce dernier opte pour un traitement global de l’agglomération et divise ce territoire en deux zones principales : celle des habitations et celle des industries. Il respecte le découpage cadastral et le tracé de la voirie existant avant 1940, satisfaisant ainsi le souhait manifesté par les sinistrés fortement attachés à leur ville et hostiles à toute rupture synomyme de perte de repère d’un espace urbain déjà fortement détruit.

Leveau résume son choix en expliquant qu’il a souhaité "respecter l’aspect traditionnel de la ville auquel les habitants sont tellement attachés sans compromettre la réalisation d’un programme d’esprit moderne". Cependant, la rectification de certaines rues générera des expropriations mal vécues par leurs propriétaires qui résisteront pendant de nombreuses années, refusant l’idée de voir disparaître leurs maisons sauvées des bombardements.

Lorsque Niermans arrive à Dunkerque en 1946, en qualité d’architecte en chef chargé de coordonner l’ensemble des réalisations des architectes de la reconstruction, le parti pris urbanistique de Leveau est acquis.

Or, Niermans ne partage pas les opinions de son confrère… Il aurait souhaité un tracé rectiligne de voies favorables à la circulation automobile, des partis monumentaux et des perspectives par la création de places et de dégagements". À ses yeux, une cité détruite offrait la possibilité de repenser entièrement la ville. Il devra néanmoins mettre en œuvre le plan d’urbanisme de Leveau.

Cependant, Jean Niermans peut se révéler sur deux sites que le plan Leveau destinait à un traitement plus moderne de l’architecture : les îlots Sainte-Barbe et Carnot, situés sur les terrains militaires de l’ancienne caserne Jean Bart pour le premier et Guillemot pour le second. Ici, plus question d’affronter la volonté des anciens propriétaires de parcelles des autres îlots : ils n’existent pas. Cet ensemble de "composition monumentale" rassemble des ISAI (Immeubles sans attribution individuelle). Ils sont financés directement par l’État.

Lorsque les logements sont achevés, ils sont proposés à des acquéreurs, en priorité aux sinistrés. Cette liberté permet à Niermans de réaliser ses idéaux : imposer les toits-terrasses (symbole du modernisme), laisser la lumière et l’air pénétrer dans les logements, agrémenter les îlots d’espaces verdoyants autour desquels s’ordonnent les pièces de vie, malgré des contraintes architecturales imposées : hauteur limitée des immeubles, utilisation de la brique et du béton… Conçus dès 1946, la construction de ces immeubles est une réalité en 1948.

Ailleurs, les "associations syndicales de la reconstruction", qui regroupent les sinistrés propriétaires de parcelles qui leur ont rétrocédé leurs dommages de guerre, traitent avec les pouvoirs publics et les architectes. Les conceptions des uns et des autres sont différentes, les débats sont longs et laborieux pour aboutir à un compromis. Aussi, les travaux de construction prennent-ils du retard, et ce n’est qu’en 1968 que la dernière association syndicale est dissoute.

Si, en 1945, la reconstruction de la ville était déjà acquise, il n’en allait pas de même pour le port.La tentation avait été forte devant ce champ de ruines de baisser les bras. Les décideurs économiques parisiens et lillois avaient songé un moment faire transiter le trafic portuaire par Anvers qui était sorti intacte de la guerre.

Mais les élus et les responsables économiques de Dunkerque avaient fait pencher la balance et, en 1946, la reconstruction du port était devenue une priorité. Alors que la ville était encore un vaste chantier de construction, en 1947, l’écluse Watier était réouverte et deux ans plus tard, les ACF lançaient deux bateaux. En 1955, le port était reconstruit à l’identique et l’écluse Trystram refonctionnait.

À la fin des années 1950, le retard du logement social dunkerquois n’est plus qu’un mauvais souvenir dans le centre reconstruit. En 1926, la ville avait plus de 59 % de sa population qui vivait dans des logements trop exigus et une famille sur quatre qui était victime d’insuffisances sanitaires. Entre les deux guerres, une seule réalisation de logements sociaux avait été entreprise : les habitations à bon marché de la rue Saint-Charles.

Cependant, pour le sinistré, la reconstruction fut avant tout, après l’épreuve de la guerre, l’espoir d’être relogé et indemnisé le plus rapidement possible, alors que les architectes, tel Niermans souhaitaient penser la ville. L’urgence l’emporta sur toute autre conviction et laissa sans doute de profondes frustrations chez les uns et les autres.

Mais il est certain que la reconstruction de la ville participa à la réduction des inégalités sociales en proposant à une majorité de la population des logements confortables dont seule la bourgeoisie d’avant-guerre bénéficiait.

Il serait tentant dans les années à venir d’approfondir quel fut le rôle de ce vaste renouvellement du logement dans l’équilibre social de Dunkerque dans les années 1950-1960.

L'ère des maisons en kit

L'ère des maisons en kit
Octobre 1945. L'automne précoce du Nord fait ses premiers pas. La joie des retours des exilés s'étiole, l'enthousiasme se dissipe, et se pose alors la douloureuse situation des sans-logis. Décembre 1945. De drôles de caisses venues tout droit des États-Unis débarquent à Boulogne-sur-Mer et sont acheminées jusqu'à Dunkerque. Le contenu de cinq caisses, chacune d'un poids différent, permet, tel un jeu de construction, d'assembler une maison préfabriquée d'un modèle appelé "UK 100".

À l'heure du relogement d'urgence, ces chalets d'un style nouveau et équipés d'un confort méconnu jusqu'alors (salle commune, deux chambres, cuisine, salle de bains, w.-c., chauffage au gaz…) font déferler une vague d'engouement. On dit que leur prix de revient est intéressant, qu’ils sont vite livrés et vite montés… On dit même que le futur locataire peut choisir sa maison ! C'est entre les bastions militaires et le canal exutoire que s'emboîtent ces premiers cubes… Janvier 1946. L'hiver est rude, l'espoir s'envole. Le montage des maisons se ralentit car le gel rend la maçonnerie difficile.

Les travaux d'adduction d'eau et de gaz stagnent et le doute s'installe quant à la résistance des maisonnettes. Les cloisons extérieures faites d’un matériau peu solide ne résisteront pas aux pluies et aux vents souvent violents. Les mois suivants, l’eau s’infiltre, des toitures se soulèvent et le “rêve américain” se brise. Le 6 avril 1946, Le Nouveau Nord Maritime titre : “Comment et par qui cette pitoyable et ruineuse fourniture a-t-elle été négociée ?”… Les petits chalets en kit d’un esthétisme et d’un modernisme apparents, au lieu d’un habitat novateur et confortable, se révèlent bien n’être qu’un logement de fortune. Bien éphémère fut l’ère de la maison en kit !

Îlot Carnot

Les îlots Carnot - appartement F4

Tout est prévu : l’emplacement du berceau du bébé dans la chambre des parents, le bac et la planche de lavage dans la salle d’eau, le nettoyage des chaussures sur le balcon… La salle de séjour, qui rassemble le salon et la salle à manger, offre la possibilité d’installer les fauteuils devant la cheminée et la table devant la spacieuse fenêtre.

(Archives municipales de Dunkerque - Fonds Niermans, 3Z27)

         

L’architecte Jean Roussel, à gauche, et l’architecte en chef adjoint, Yervante Toumaniantz, à droite, suivent l’avancée des travaux de construction de l’îlot Carnot Sud. L’enfant couché sur le sable est Jean-Luc Roussel, le fils de Jean.

(Archives municipales de Dunkerque – Fonds Niermans, 3 Z 54.8)

Textes écrits par Anne Lebel