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Le choc de la Seconde Guerre mondiale


Ville martyre sous les bombardements, Dunkerque devient pourtant en mai 1940 le symbole d’un immense espoir, celui de "l’esprit de Dunkerque".


En septembre 1939, Dunkerque conserve toujours en mémoire les souffrances de 1914-1918 et s’engage sans enthousiasme dans la guerre. Site stratégique et convoité, la ville portuaire est défendue par la marine, mais, en novembre 1939, après la pose des premières mines magnétiques, immédiatement mis en œuvre le dispositif de "défense passive", fort bien organisé mais qui révélera ses insuffisances face à une aussi effroyable tourmente.

Endormie dans la "drôle de guerre", Dunkerque se réveille brutalement le 10 mai 1940 et, trois jours plus tard, l’inquiétude atteint son paroxysme avec l’arrivée des réfugiés belges et hollandais poussés sur les routes par la stratégie de terreur de l’aviation allemande qui bombarde les villes. L’effondrement des Alliés est total et la Blitzkrieg s’abat sur la cité dans la nuit du 18 au 19 mai : les premiers immeubles brûlent rue Clemenceau et les habitants commencent à fuir.

La percée allemande est foudroyante et l’étau se resserre très rapidement : le 20 mai, les divisions blindées ennemies atteignent la Manche et ne tardent pas à menacer Boulogne et Calais. Près d’un million de soldats alliés sont encerclés. Les Britanniques mesurent très vite l’ampleur de la défaite : ils ne croient plus à la réussite d’une contre-attaque et, dès le 19 mai, optent pour le rembarquement de leur corps expéditionnaire commandé par le général Gort.

Tandis que les bombardements s’intensifient sur Dunkerque, les armées alliées se regroupent dans une zone d’une centaine de kilomètres de longueur sur trente à quarante de largeur formant un corridor entre Lille et la mer. À Douvres, le vice-amiral Ramsay prépare l’évacuation dans une salle ayant autrefois abrité un générateur électrique et appelée "Dynamo room" : c’est le nom qui sera donné à la plus grande opération de rembarquement de toute l’histoire militaire.

Craignant un enlisement de ses blindés dans les Flandres et soucieux de préserver ses chars pour partir à la conquête de Paris, Hitler ordonne, le 24 mai, l’arrêt de ses divisions sur l’Aa. Les Alliés bénéficient ainsi d’un répit inespéré de 48 heures mises à profit pour consolider les défenses du corridor et organiser un camp retranché.

Le 26 mai, à 18 h 57, les Britanniques déclenchent l’opération Dynamo : un gigantesque sauvetage opéré par une noria de navires de guerre, de commerce voire de plaisance à l’instar des “little ships” dont l’épopée restera gravée dans toutes les mémoires. Les troupes embarquent au port puis à la jetée est, mais aussi à partir des plages où les petites embarcations effectuent d’incessantes navettes avec les navires qui attendent au large… Tout cela sous le feu de l’aviation ennemie ou de son artillerie déjà installée à Calais.


La ville est écrasée et la journée du 27 mai est apocalyptique : les incendies ne peuvent plus être maîtrisés et les civils ne quittent plus les caves et les abris. Le front continue de s’effondrer, notamment après la capitulation de l’armée belge, et les troupes alliées se battent maintenant avec l’énergie du désespoir.

Le 28 mai, les Français commencent à embarquer, mais les relations franco-britanniques sont entachées de méfiance : les incidents se multiplient sur les plages où les Anglais imposent à tous une discipline de fer. Winston Churchill, qui entrevoit alors un risque politique, décide d’imposer une évacuation à égalité pour compenser la faiblesse numérique des navires français.

La flotte alliée subit de telles pertes que l’amirauté britannique se résout à suspendre les évacuations de jour. Cependant, l’opération est bel et bien une réussite : le 2 juin, les derniers soldats britanniques embarquent mais Dynamo n’est pas encore terminée.

Les Anglais savent ce qu’ils doivent aux Français qui couvraient leur retraite, et décident de poursuivre les rotations de navires, cette fois-ci en parfaite coordination avec la marine française, jusqu’au 4 juin à 3 h 40. Au total, 338 000 soldats alliés dont 123 000 Français ont pu échapper à l’enfer de Dunkerque. Mais 35 000 militaires français, pour la plupart combattants du dernier carré, n’ont pu embarquer et sont faits prisonniers.

                                            

L’aviation allemande n’a pu empêcher l’évacuation mais les pertes alliées tant en matériel qu’en vies humaines sont considérables. Pour les Allemands, cette victoire a un goût d’inachevé. Pour les Français, c’est l’amertume de la défaite. Pour les Britanniques qui ont perdu 68 000 hommes en Belgique et en France, l’opération Dynamo est un succès inespéré et tous les rescapés de Dunkerque qui foulent le sol de l’Angleterre sont accueillis en héros. Au coeur de la tourmente, est né "l’esprit de Dunkerque", immense espoir de reconquête et de délivrance.

Le 4 juin 1940, l’armée allemande prend possession de Dunkerque : elle y restera 4 ans, 11 mois et 5 jours ! Dès juillet, les départements du Nord et du Pas-de-Calais deviennent "zone interdite", c’est-à-dire susceptibles d’être rattachés au Reich, placés sous l’autorité du haut commandement militaire de Bruxelles, donc isolés au sein même de la zone occupée.

De plus, en raison de la proximité avec l’Angleterre, le secteur littoral est classé "zone rouge" et fait l’objet d’une occupation massive : la population civile ne peut circuler sans laissez-passer, les interdits pleuvent.

La majorité des Dunkerquois dont les habitations furent détruites a trouvé refuge dans les communes environnantes. Ils sont confrontés quotidiennement aux difficultés du ravitaillement, atténuées seulement par la reprise de la pêche au hareng en 1941, aux restrictions de circulation et souvent au chômage même si les entreprises allemandes embauchent du personnel pour la construction des ouvrages défensifs côtiers. Les loisirs sont eux aussi strictement réglementés : les cinémas sont très fréquentés et les associations sportives florissantes.

Dans leur immense majorité, les Dunkerquois rejettent toute propagande anglophobe. Malgré les bombardements opérés par l’aviation alliée, ils placent toutes leurs espérances dans l’Angleterre : la BBC est très écoutée, clandestinement. Une minorité se tourne pourtant vers les partis de la collaboration : des hommes jeunes, désoeuvrés, qui sont très vite recrutés par l’Abwehr, le contre-espionnage allemand, et utilisés pour infiltrer les mouvements de résistance.

Dans tout le Nord-Pas de Calais, la résistance à l’occupant est précoce et Dunkerque n’échappe pas à cette règle. Les premières initiatives sont conduites par d’anciens combattants de la guerre de 1914-1918 comme Henri Gugelot de Saint-Stéban (comité Malo-Dunkerque) ou Louis Herbeaux (réseau Alliance) dont les groupes seront démantelés par la police allemande et leurs membres déportés ou exécutés.

Hormis quelques engagements individuels, les militants communistes n’entrent en résistance qu’en juin 1941, date de l’invasion de l’URSS par les troupes nazies : leurs activités de sabotage seront elles aussi sévèrement réprimées. En 1943, le réseau OCM (Organisation civile et militaire) et le mouvement "Voix du Nord" pratiquent le renseignement et assurent l’évacuation des aviateurs alliés abattus dans la région.

Les effectifs de la Résistance s’étoffent aussi dans les derniers mois de la guerre avec l’entrée en clandestinité des réfractaires au STO (Service du travail obligatoire) ou de ceux qui ont pu échapper aux réquisitions de main d’œuvre opérées par l’occupant. Certains jeunes, mal encadrés, se risqueront d’ailleurs à des opérations trop audacieuses lors de la débâcle allemande et paieront souvent leur témérité de leur vie.

Dès le début de l’année 1944, le sort de l’agglomération est pratiquement scellé. En janvier, Hitler décide de hisser Dunkerque au rang de "forteresse" (Festung) et, dès février, toute la zone des wateringues est inondée ou minée : ce territoire de 20 km de côté sur 8 km d’arrière-pays correspond approximativement au périmètre défendu en 1940 par les troupes françaises pour assurer le rembarquement.

Malgré ces mauvais augures, 25 000 Dunkerquois refusent de se plier aux ordres d’évacuation : ils devront pourtant remiser leur optimisme. L’avance des Alliés n’est pas une promenade car les ports du littoral offrent une dure résistance et, le 14 septembre, en raison de la lenteur des opérations, Eisenhower décide de décharger les Canadiens de la conquête de Dunkerque, leur donnant pour mission prioritaire le dégagement des accès du port d’Anvers repris intact. Le port de Dunkerque, en ruine, ne suscite plus un intérêt immédiat et la ville peut être sacrifiée sur l’autel de la stratégie.

Du 20 au 29 septembre, 6 500 civils quittent clandestinement la "poche", sans aucune réaction allemande, et une trêve, conclue du 3 au 6 octobre, permet à 17 522 personnes de franchir les lignes. Quelques centaines d’irréductibles ont refusé la liberté qui leur était offerte : en février 1945, l’occupant les regroupera dans trois camps disséminés dans l’agglomération.

Arrivé à Dunkerque le 3 septembre 1944, le contre-amiral Frisius est officiellement nommé à la tête de la "forteresse" le 19 : il dispose d’unités aguerries, d’un impressionnant potentiel en artillerie et s’enferme dans un isolement durable. Sur le front allié, une brigade autonome tchécoslovaque relève, le 6 octobre 1944, les éléments canadiens et britanniques ; quant aux troupes françaises, elles sont composées de volontaires issus des FFI, constitués hâtivement en unités régulières, mal équipés et vivant dans des conditions d’hygiène déplorables.

                              

Durant huit longs mois, les affrontements se résument à des embuscades, à des échanges de tirs d’artillerie et à des accrochages souvent meurtriers. À plusieurs reprises, les combats seront sévères, notamment en décembre au moment de l’offensive allemande dans les Ardennes et en avril 1945 quand une contreattaque allemande va nécessiter une intervention de l’aviation alliée.

Le 8 mai 1945, l’amiral Frisius, l’irréductible "seigneur" de Dunkerque, consent enfin à déposer les armes et remet, le lendemain à Wormhout, l’acte de reddition qu’il a signé avant la réunion officielle. Il a fallu aussi que les plus hautes autorités militaires françaises interviennent fermement auprès des Britanniques pour être représentées à cette cérémonie : jusqu’à l’ultime instant, Dunkerque demeura un enjeu.

Après les opérations de déminage, les Dunkerquois reviennent dans une région dévastée : stimulés par les épreuves, ils se préparent à relever le défi de la reconstruction.

9 mai 1945 

L’amiral Frisius signe l’acte de reddition.

10 mai 1945

Le général Liska, commandant les forces alliées à Dunkerque, remet les pavillons aux couleurs des vainqueurs aux sousofficiers chargés de les hisser sur le beffroi.

12 août 1945

Le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire, vient rendre l’hommage du pays aux martyrs de Dunkerque.

(Archives municipales de Dunkerque – Fonds Chatelle, n.c.)

Textes écrits par Patrick Oddone et Christine Harbion